Poésie (I)

 Photo Líria Dora Orlowska © Re/cogito

Les parents ont dit

Voici
ont dit les parents
il y a la terre
le cheval la charrue la faux

à toi la tête les mains les jambes
tu peux penser
labourer
vivre

voici devant toi
un grand roc
et la montagne

voici les mesures
de l’espace et du temps
pour que tu connaisses
ton commencement
et ta fin

 

La pierre

Ne contournez pas cette pierre

la pierre ne voit pas
la pierre ne parle pas
la pierre ne pense pas

sous les cils moussus
blottis contre la terre
jaillit une source

la pierre
pleure

 

Entre nous

Entre nous il y a une trouée
que nous remplissons par des inconnus
entre nous il y a une entente
dont les sources se trouvent dans les désirs d’autrui
entre nous il y a une incertitude
qui détruit notre confiance en nous

ainsi demeurons-nous
demeurons-nous
familiers mais étrangers
lointains mais proches

fidèles mais en méfiance
la vraie vie
en dehors de soi

 

Poème

Le poème qui naît
sous la plume
est un exemple brillant d’indépendance

il peut tranquillement rester couché
il peut rouler comme une roue
il peut faire la cour
crier
accuser
et faire semblant d’être schizophrène

il n’a aucune crainte à avoir
d’être poursuivi
interrogé

même soupçonné
il va se défendre par le silence

 

* * *

Notre regard est loin d’être parfait.
Nous saisissons ce qui est devant, mais jamais ce qui est derrière.
Et il ne sert à rien de se tourner à 180 degrés.
Même si l’on regarde vers le haut, cela ne nous rassure pas davantage
de nous trouver au point juste.

Ce n’est qu’en fermant les yeux
que l’on parvient
à la plénitude du regard.

 

* * *

Tant de directions
et d’étoiles et de chemins
tant d’arbres et de montagnes
de levers et de couchers de soleil
d’éclipses et d’éclats de lumière

tant d’espace
d’immobilité dans le mouvement
de mort dans la vie
d’invocation dans la vocation
de faim dans l’abondance

tant de dédoublements
de triplements

peut-être à droite
à gauche peut-être
en haut
en bas

ou peut-être dans toutes les directions
à la fois

mais peut-être
n’y a-t-il pas de directions

 

* * *

Tu te déshabilles jusqu’aux racines : les feuilles sont déjà tombées,
les sens se sont déjà engourdis.

Tu es tendre, c’est ce qui te rend si précise dans tes gestes.

Tu fais tomber l’écorce, de ta blancheur naît un jardin,
et mes mains encore et toujours impuissantes devant tant d’abondance.

 

Stanisław MISAKOWSKI

Traduction : Liliana Orlowska en collaboration avec Robert Abirached

 

Stanisław Misakowski (né Владимир Феофанович Демьянок) – poète et romancier polonais d’origine ukrainienne, est né le 8 mai 1917 à Loutsk (la capitale administrative de l’blast de Volhynie) et mort le 9 juillet 1996 à Żyrardów. Diplômé de l’Ecole Supérieure d’Agriculture de Stavropol en 1939.Pendant la guerre, il subit le travail forcé en Allemagne. Après la guerre, il se rend sur les nouvelles frontières de la Pologne. Dans les années 1945-1960, il séjourne dans la région de Lublin, puis à partir de 1960, vit en Poméranie à Kołacz prés de Połczyn Zdrój, à Świdwin et Słupsk. En 1986, il s’installe prés de Varsovie à Żyrardów. Il fait ses débuts comme poète en 1939 dans la presse soviétique, et en 1955 dans la presse polonaise. Il publie son premier livre (Kiedy nadchodzi noc) en 1963. Il est membre de l’International Academy of Poets (Cambridge, Angleterre) et de la Science Fiction Poetry Association. Depuis 2004, l’une des rues de Żyrardów porte son nom. Il est l’auteur de plusieurs recueils de poésie et a été traduit en plusieurs langues, dont l’allemand (poème Sydonia) et le russe (Замерзшая земля – un choix de poèmes des années 1957-1996 dans une traduction d’Andrieï Bazilewsky). Les dernières années de sa vie, il les a consacrées à l’écriture de ses mémoires, sous un titre provisoire WFD. Il décède à 79 ans après plusieurs mois de maladie sans pouvoir achever ce travail.

 

[VI 2014]