Stanisław Misakowski (1917-1996)

Stanisław Misakowski (1995). Photo Marek Wittbrot © Re/cogito

Je n’étais pas sûr que nous existons — c’est par ces mots que Stanisław Misakowski terminait, il y a bien des années, le poème au titre significatif « Je n’ai pas dit ». Il doutait à tout moment d’être lui-même. En tant que poète, il refusait l’existence de ce qui n’était pas vrai. Il ne composait pas avec les illusions, c’est pourquoi il n’eut pas la vie facile. Il y a des destins fabriqués de toute pièce – tels que pour nombre d’entre eux le sien serait une épreuve difficile. Permanence du devenir – de la catastrophe – c’est la vision du monde inscrite par Misakowski.

« L’homme qui ne sait pas lui-même qui il est » – c’est le sous-titre de ses mémoires non encore éditées. La foi et le sens de l’honneur ne l’ont pas quitté, bien que la douleur fut constante. Pendant de nombreuses années, il lutta contre le drame de la vie terrestre, mais il devait apercevoir la lumière invisible. La poésie de Stanisław Misakowski n’est pas fabriquée ou « décidée» – elle résulte d’elle-même, d’un besoin d’exprimer ce qui ne peut pas seulement se confondre avec la figure de l’auteur. Le mystère parlait à travers lui car il était homme de la frontière – sur terre et parmi ceux qui ne sont plus – déjà ou pas encore.

Un jour, il a paraphrasé un vers du « Spleen de Paris » de Baudelaire : N’importe où ! n’importe où ! pourvu que ce soit hors de ce monde ! Après avoir rayé pourvu que…, il a ajouté son propre nom. Pour lui, tout est là, à portée de main, mais en même temps – dans un lointain infini. Un soldat de la vie, ne fuyant pas le destin : là où il était balloté, il s’enracinait et se mettait au travail. On ne l’a pas toujours compris, ce qu’il prenait avec une légère ironie. La virilité exclut l’hystérie. Dans la personne de Misakowski il n’y avait pas de vanité – seulement de l’honnêteté. Homme cultivé, il a pu faire pas mal de choses, vivant comme s’il avait plus de temps que les autres. Mais il est parti avant d’avoir pu connaître le succès qu’il méritait, lequel, sans raison fondée, est revenu à d’autres qui lui ont survécu. Il n’a pas été gâté par la critique, ni par le pouvoir. Un jour il a écrit avec amertume : « Il y a des gens qui frappent et il y a des gens que l’on frappe. J’appartiens à cette deuxième catégorie, même si vraiment je ne le mérite pas. » Il était entièrement dépourvu de la faculté de se créer une image, comme de nouer des intrigues. Aucune « publicité », aucune « névrose culturelle ». Il n’a pas été touché par la tentation de la présomption. Comme artiste, il avait des lecteurs fidèles et des élèves reconnaissants. Il jouissait d’une certaine notoriété – à une échelle qu’il a accepté. Il aurait pu avoir un plus grand renom, mais il ne consacra pas son temps à la confirmation de son « nom » – il mettait son âme dans le mot. Sa popularité n’est pas de « vitrine ». La victoire est intérieure.

En décembre 1994, j’ai participé à une rencontre organisée à la Pax de Słupsk avec des lecteurs. Dans une petite salle poussiéreuse, devant une poignée de personnes, il a parlé de problèmes qui l’absorbaient. De la dépravation de l’homme – contaminé par la convoitise du monde extérieur, ne se basant pas sur lui-même et ne se voyant pas en tant qu’individu. Il disait qu’en avançant à l’intérieur de soi nous ne parviendrons jamais au bout, et cependant nous avons tendance à malmener le mot, tandis que le corps nous éloigne de la vérité. Il trouvait que l’humanité devrait se confesser et il le faisait lui-même. Dans sa poésie, nous voyons le monde plus riche qu’il n’apparaît habituellement. Il a choisi un vers libre duquel – comme il disait – on a supprimé ce sans quoi on peut transmettre une pensée. Il n’aimait pas les points, il préférait ne pas fermer ses phrases. Après la parution de son dernier livre – « To czego nie ma » (« Ce qu’il n’y a pas ») – il écrivit encore de nombreux, d’excellents et profonds poèmes qui composent un recueil non encore édité, « Grudka ziemi » (« Une petite motte de terre »). L’automne de sa vie a été fructueux, plein de révélations.

Plus d’une fois, il a frôlé la mort – il a été de l’autre côté. Lorsqu’on le questionnait, il racontait ceci: « Ce qui est arrivé, c’est le délaissement soudain du corps par l’âme : je me suis retrouvé hors du corps, en haut, entièrement conscient. Quand je suis revenu, je n’aimais pas trop mon corps ». Il s’est enfin libéré de ce poids. Il a laissé un fils, il a laissé de nombreux enfants-poèmes – lesquels continuent de frayer leur chemin.Adieu, Staszek. Tu a été vraiment. C’est pourquoi – tu es.

Andrieï BAZILEWSKY

Traduction : Liliana Orlowska

Andrieï Bazilewsky est traducteur de littérature polonaise en langue russe. Il a fait paraître deux tomes de poèmes de Stanisław Misakowski : Nie powiedzialem (Je n’ai pas dit) (1992), Zmarznięta ziemia (Terre transie) (2004), ainsi que de nombreuses œuvres de littérature polonaise du XXème siècle. Entre autres il a traduit Zbigniew Herbert, Czesław Milosz, Cyprian Kamil Norwid et Karol Wojtyła. Il vit à Moscou. Ce texte a été publié dans « Nasza Rodzina » (revue « Notre Famille ») – 11(638) 1997, 12.

[VI 2014]