En lisant les Saintes Ecritures

Czesław Miłosz et Jan Lebenstein (Paris, 1982). Photo Witold Urbanowicz © Re/cogito

En lisant les Saintes Ecritures nous sentons un lien mystérieux qui commence à se nouer entre nous et ce Livre. Peu à peu, feuille après feuille (il ne faut pas être pressé dans la lecture de l’Ecriture) le lien se transforme en une heureuse habitude. Nous nous sentons liés avec le Livre et au fur et à mesure, imperceptiblement, quelque chose d’émouvant se produit: l’amour se met à vibrer en nous. Lorsque nous réalisons la transformation qui s’est opérée en nous, soudain, nous obtenons la certitude de la rencontre avec la Personne (de Dieu).

Le désir de fréquenter les Saintes Ecritures ne résulte ni de la compréhension des mots ni du sens qu’on leur donne. Nous aimons beaucoup des livres et souvent nous revenons aux textes qui nous marquent. Ici, notre prédilection est indicible: en effet le vrai amour ne peut naître qu’à la suite d’une rencontre avec quelqu’un. C’est la première expérience qui jaillit de la lecture des Saintes Ecritures.

Et la deuxième expérience est la suivante: l’amour de Dieu dans le Livre irrémédiablement suscite en nous l’amour de l’homme. C’est étonnant de constater que dans les Ecritures, Dieu parle exclusivement de l’homme et l’homme parle uniquement de Dieu. Nous ne trouverons pas de passage où Dieu n’aurait pas parlé à l’homme de l’homme. En se révélant, Dieu fait découvrir l’homme à lui-même. Et l’homme s’adressant à Dieu retrouve son être profond (sa profondeur spirituelle). La relation est inséparable: le divin vient dans l’humain, l’humain devient divin.

Toutes les distinctions sont postérieures. Dans les Saintes Ecritures la théologie est toujours une anthropologie et l’anthropologie est entièrement théologie. Notre amour ne peut être qu’unique.

Nous lisons dans la Bible, Dieu dit: « faisons l’homme à notre image et ressemblance » L’homme commence à vivre. Durant les millénaires, Dieu va tirer de lui les mots humains afin que l’homme dans sa parole exprime ses propres origines. Et voici que l’homme dans ses propres paroles se met à écouter la voix de Dieu. En quelque sorte, l’homme prête à Dieu ses propres paroles afin que celles-ci deviennent Sa Parole. L’homme commence à comprendre qu’il existe par la parole divine, par ce « Dieu dit » – et que tout entier, en tout ce qu’il est, il est la parole de Dieu. En lisant le Livre nous désirons nous accrocher à elle par tous les moyens (par tous les sens). Ce n’est pas seulement notre intelligence qui travaille: le Livre agit sur nous dans toutes les dimensions de notre être. Et désirant nous accrocher au Livre, sans le savoir, nous sommes pris par lui. Alors s’ouvre en nous un espace dans lequel les Paroles de l’Ecriture deviennent Souffle, Présence, Rythme de Dieu Créateur. Ce rythme est un battement du Cœur divin présent dans tout le Livre. Et de nouveau nous attend une expérience inattendue: en entrant dans le Rythme du Livre nous entendons le battement de notre propre cœur. Enfin, dans la lecture des saintes Ecritures nous somme épouvantés par une magnifique mais terrifiante liberté de l’homme. L’homme de la Bible est un être libre. Sans cesse il défit Dieu, « court » à sa propre perte, se détruit, écarte l’évidence devenant sourd à l’appel qui retentit sur l’étendue du Livre pour dire que Dieu peut tout. L’homme de l’Ecriture est libre jusqu’à pouvoir contredire la toute puissance divine.

Il est libre au point qu’il peut détruire sa propre liberté. Mais il est également libre pour témoigner d’un Dieu libre. Il peut détruire, il peut construire. Sans doute, il n’y a rien d’autre dans la Bible d’aussi étonnant que le souci de Dieu pour la liberté humaine. Cette liberté est à reconnaître dans les Saintes Ecritures dans toutes ses dimensions. Seulement un homme libre peut aimer. Personne ne peut imposer la loi par force, notre amour peut naître seulement d’amour. Dieu libre a conclut une alliance avec l’homme libre. C’est pour cette raison que notre rencontre avec Dieu sur les pages des Saintes Ecritures prend forme d’amour. « Dieu est amour et celui qui demeure dans l’amour, demeure en Dieu et Dieu en lui ».

Joseph SADZIK

Traduction : Rémy Kurowski

Joseph Sadzik (1933-1980), pallottin, auteur de l’Esthétique de Martin Heidegger, fondateur des Éditions et du Centre du Dialogue à Paris ; initiateur des réunions-débats, réunissant à Paris des représentants de la vie intellectuelle polonaise et française.

En lisant les Saintes Ecritures, écrit pour „Notre Famille” pallotine, a paru dans le numéro 2 (305), 1970, p. 15, du mensuel parisien.

[IX 2015]