Le plus difficile – ce qui a été constaté il y a longtemps par Søren Kierkegaard – est d’unir des éléments dissemblables. Comment effectivement concilier la liberté, le désir d’un choix infini avec des déterminants vitaux ? Ewa Estera Lipiec a réussi quelque chose de rare. Elle a maitrisé la technique mais en même temps elle ne s’est pas arrêtée sur son savoir-faire. Elle concilie une certaine aura, un engagement qui émerge de ses photographies avec retenue. Elle est en même temps concentrée sur elle mais également distanciée d’elle même. Marek Wittbrot a remarqué avec justesse que: « Ewa Estera se cherche et se cache. Elle ne s’approprie rien. Elle ne s’attache à aucun détail, ni aucun état d’âme, ni à ce qui apparaît parfois, ce qui prend vie d’une manière ou d’une autre. Dans son art, la certitude s’unit à la timidité, l’espoir à l’inquiétude, la conscience aux limites, le corps à l’espace. L’insatiabilité est aussi puissante qu’un désir, la volonté de la matérialisation et de la reconnaissance des pressentiments naissants, des sentiments qui se renforcent ainsi que des émotions difficiles à décrire précisément ».
Lorsqu’une femme se regarde, elle ne le fait sûrement jamais d’une manière indifférente. Elle souhaite que celui qui la regarde voie plus que son corps. Il est vrai que l’âme d’une femme s’extériorise extrêmement rarement. Lorsque je regarde des photographies d’Ewa Estera je n’ai aucun doute, je vois un corps et une âme. On pourrait dire qu’elle dévoile son for intérieur grâce à une habile mise en valeur de l’ombre et la lumière. Au moyen d’un flash un visage féminin, parmi une foule innombrable d’autres visages, intrigue par sa simplicité, une posture, un geste et par un regard énigmatique. Ce visage, toujours le même, devient peu à peu non-pas anonyme mais plutôt secret. Dans sa beauté on peut saisir tantôt une ouverture, un bien-être, un appel, mais pas la tristesse ni aliénation. C’est un art d’ouvrir un monde intérieur au moyen d’un espace restreint, de l’ombre et du silence. Ewa Estera Lipiec quête dans ses recherches photographiques l’instant qui lui permet de s’emparer de cet espace ou les traits du visage résonnent avec le silence qui touche la profondeur.
(2015)
Anna SOBOLEWSKA
Traduction : Natasza Coudert
Anna Sobolewska vit et travaille à Paris. Auteur de nombreux articles et d’un livre Paryż bez ulic. Jocz, Niemiec, Urbanowicz i inni (2015).
[III 2016]