Pourquoi?

Líria Dora Orlowska. Photo Pascal Schnadel © Re/cogito

Nous ne sommes quasiment jamais seuls, même s’il arrive que nous sommes privés de compagnie. Sans notre passé nous n’existons pas. De même, sans nos hésitations. Et même – sans notre solitude. Et si cela advient parfois, s’il arrive quelque chose qu’on ne peut combler, alors viennent et nous suivent – comme les rêves, inaccomplis ou remplis d’images inconnues – tous ces sentiments, même ces pressentiments, événements ou représentations qui sont en nous et, en même temps, en dehors de nous. Ils nous poursuivent, mais de manière toutefois particulièrement douce, ou bien, on ne sait pourquoi, de manière douloureuse. Ils font mal mais ne blessent pas. Ils blessent sans laisser de traces visibles. Malgré des signes distincts, on ne peut pas en deviner grand-chose. Néanmoins, tout ce qui est en nous et comme pas vraiment en nous, touche, bouleverse, semble être juste une vision, cependant non banale. D’habitude, cela nous réveille ou nous plonge dans l’inconnu, et pendant longtemps ne nous permet pas de trouver le calme.

Il n’est pas rare qu’une image gardée dans la mémoire soit plus captivante qu’une notation précise des événements passés. Cela est plus qu’une preuve d’un fait refoulé de la conscience ou que le reflet d’un détail sautant aux yeux. Couleur à première vue insignifiante, totalement invisible mais présente, scintillante – comme à la surface d’un lac –, son qui faiblit, souffle du vent à peine perceptible, trouvant toute son expression dans les photographies de Líria Dora Orlowska. A travers les visages, les arbres, les signes perdus, et parfois – complètement par hasard – à travers quelque chose repéré manquant, une douloureuse lacune ou un objet abîmé, négligé, tout se révèle à nous, se dévoile presque complètement. Cependant nous n’en savons toujours pas davantage. L’auteur de « Cartes », « Chemin de lumière », « Iles inconnues », d’« Attente » ou « Matin inattendu » n’est pas aveugle. Elle n’erre pas à tâtons. Elle ne fuit pas, ne se recouvre pas d’un mystère qui pourrait être pour elle encombrant, en sorte que tout ce qui est caché, de plus intime, envahit, saisit – grâce à elle – aussi nos sens. Et demeure invisible.

Líria Dora ne montre pas seulement ce qu’elle regarde. Elle n’est pas indifférente. Elle aime être, s’avancer, là où personne ne s’est encore engagé. Elle ne va nulle part avec un plan établi d’avance. Elle n’a pas peur d’être surprise. Elle ne passe pas à côté, ne se détourne pas – ni des lieux importants, ni des gens – elle ne sait pas passer, comme on le fait souvent, sans regarder à gauche et à droite, sans se porter vers quelque chose. Elle est plongée en elle. Mais aussi libre, immergée en ce qu’il y a en dehors d’elle. Cependant, quoi qu’il arrive, elle est pleinement présente. Toujours attentive. Toujours éveillée.

D’où vient alors son calme ? D’où tant d’espace, tant de silence, tant de fraîche distance dans un regard brûlant ? D’où vient, dans cette étroite union, la tristesse et la joie ? D’où, en pleine nuit, tant de lumière ? Ou tant de nuit lorsque l’aveugle, la saisit une nouvelle aurore ? D’où tant de confiance et tant de doutes ? D’où le sourire qu’elle ne veut pas avouer ? D’où les larmes qu’elle ne veut pas montrer ? D’où tant de conviction et tant d’hésitations ? Pourquoi toujours autant de questions ? D’où viennent-elles et pourquoi – lorsque nous regardons ses photographies – ne nous quittent-elles pas ? Pourquoi est-ce que nous nous réveillons avec elles, nous endormons et nous réveillons encore… ?

Il n’y a que ses photographies qui peuvent y répondre.

Paris, le 31 décembre 2012

Marek WITTBROT

Traduction : Liliana Orlowska

Marek Wittbrot est né en 1960 à Polanów (Pologne). Réside en France depuis 1990. Il est rédacteur, journaliste et essayiste.

[IX 2013]