Visages du destin. Dessins de Paweł Jocz

Jocz 1994.
Paweł Jocz, Du cycle Multiplications de Cielce (1994). © Re/cogito

Dans ses dessins le visage est un champ de bataille. Les formes que construit sur le papier par un dessin épais, chacun des traits de bâton imbibé d’encre de Chine sont des explosions figées ou bien des miroirs dans lesquels se mire le visage du Cosmos en même temps que celui du Chaos.

Il semble difficile de comprendre ou d’accepter le fait que dans des séries comptant souvent quelques dizaines de dessins de grand format, seuls quelques-uns tentent de s’approcher de portraits de personnes concrètes. De plus, presque tous les dessins représentent des visages.

De qui donc Paweł Jocz fait-il si obstinément le portrait ? Deux réponses me semblent possibles, chacune à un niveau différent. La première est que Paweł, grand amateur de poésie, avant tout celle de Rainer Maria Rilke, traite la forme du portrait de la même façon que certains poètes modernes traitent les formes classiques du poème, du sonnet ou de l’élégie, donc comme un modèle, une limitation ou une contrainte – c’est-à-dire aussi bien comme « l’escrimeur qui est dans le miroir » que comme une possibilité, un contenant dont le contenu – le complément d’émotion et d’expérience n’est plus soumis à des limitations classiques. La seconde suggère que dans ces reprises, multiplications et transformations du thème quasi beethovéniennes du visage ou les visages – tant ceux des personnes connues de l’artiste que ceux dont il se souvient de ses rêves, de la télévision, des illustrations ou des photos – il cherche un autre visage – le visage insaisissable, idéal, effrayant, celui du destin humain, de notre destin.

Or dans ces dessins se déroule un combat entre les forces fondamentales qu’éprouve tout créateur et particulièrement tout créateur éminent. D’une part, entre la volonté instable, les outils et la matière des œuvres qui résistent, une vision fugitive et, d’autre part, l’objectif de ces luttes et recherches. Une forme entendue non seulement par les oreilles que nous avons des deux côtés de la tête et vue non seulement par ces yeux qui nous servent à lire les journaux et à contrôler l’état de notre compte bancaire, mais une forme permettant d’interpréter à nouveau, personnellement, les valeurs universelles qui nous concernent tous c’est-à-dire la capacité de distinguer le vrai du faux et le bien du mal, la capacité de penser à ce que signifie vivre, aimer, mourir. A ce que signifie aussi la foi et la fidélité.

1994

Maciej NIEMIEC

Traduction : Krystyna Jocz

Maciej Niemiec (1953-2012), poète polonais, a vécu à Paris à partir de 1987. Tout en continuant à mener sa carrière en Pologne, il a conquis une place sur la scène poétique française. Il a publié en Pologne sept recueils de poèmes, ainsi que Temu co się nie kończy. Tren (A qui n’en finit pas. Thrène), de Michel Deguy, traduit par Fernand Cambon et lui-même. En France, il a publié deux recueils : Trente poèmes pour une femme, aux éditions Atelier La Feugraie, 2001, et Le quatrième roi mage raconte, chez Belin, dans la collection « L’extrême contemporain », 2002. Ses poèmes étaient régulièrement publiés dans des revues : en Pologne dans « Zeszyty Literackie » et en France dans « Po&sie ».

[VI 2015]